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Mon blog

Les délicieux tourments du grand âge.



Apparemment l’empilement des années, les unes sur les autres, aboutit à la « calcification » à la fois des qualités et des défauts de chacun. J’en nourrissais une véritable hantise, car je redoutais et je redoute de rester figé dans le même personnage pour mes vieux jours. Non que je ne sois pas fier de mon parcours jusque là, mais j’imagine que pour aborder confortablement le grand âge il est préférable que se poursuivent les changements que j’ai vécus pendant trois-quarts de siècle. Leur arrêt ne présagera rien de bon pour moi.


Ma hantise s’est fortement dissipée ces derniers temps car je sens poindre de nombreux signes de changements. Pas forcément dans le bon sens ! L’essentiel est de rester suffisamment alerte pour négocier chaque moment de la vie. Ceci m’expose ainsi à des conflits avec moi-même, mais je m’en accommode car l’âge a fait voler en éclats ce qui naguère constituait une contrainte ou un tabou.



Par exemple, je n’aimais pas seulement mes parents, ma femme, mes enfants et la proche famille, mais tous les gens. Oui, je crois avoir aimé tout le monde, y compris parfois des individus qui m’ont nuit.


Le seul oublié c’était moi !


Le premier changement observé c’est le regard empreint de sympathie que je pose sur ma personne. Je ne suis pas dans un narcissisme béat, mais j’avoue éprouver de la compassion pour mes rides qui se creusent.


J’ai beau me réconcilier avec moi-même, je garde mon ego sous contrôle pour préserver celui de l’autre, pour ne point le froisser et préserver ainsi ma relation avec lui. Suis-je devenu meilleur ou est-ce la peur de rester seul qui m’incline à une plus grande mansuétude ? Je ne cherche pas à trouver une réponse à ce paradoxe, mais je trouve une paix profonde à éluder ce genre de questions.



Autre changement, j’ai cessé de penser que le monde repose sur mes seules épaules. J’en suis d’autant plus soulagé que je m’accommode maintenant de toutes les imperfections de ce monde. Je me sens confortable dans cette nouvelle attitude depuis que j’ai pris sur moi de ne jamais juger les gens.


Suis-je dans la même démarche intellectuelle qui consiste à ne point relever ce qu’il peut y avoir de bon ou de mauvais dans les faits et gestes de mon prochain ? Dire à quelqu’un qu’il a tort, et il vous prend en grippe, corriger une parole ou une attitude de votre interlocuteur et vous passez pour un rabat-joie. Je m’en abstiens quoiqu’il m’en coûte, car aujourd’hui j’ai un besoin vital de déceler les étincelles de contentement dans le regard de l’autre.


Cela est fort peu conforme à ma rigueur habituelle. Toutefois je n’éprouve pas de scrupules à la bafouer en cédant au dogme de la tolérance. Une tolérance qui malheureusement nourrit le conflit avec mon éthique. Je suis à l’épreuve d’un dilemme qui paradoxalement n’entame pas ma paix intérieure.



La recherche obsessionnelle de la paix me pousse à scruter un regard, un sourire, tous signes de contentement chez l’autre. Alors je me surprends à distribuer généreusement des compliments alors que j’en étais avare auparavant. Qu’importe si parfois mon interlocuteur ne mérite pas tous mes compliments. Mais ils finissent par le rendre d’humeur agréable. L’humeur agréable finit par m’envahir à mon tour, et je me sens bien. Je suis bien !


Ce troisième changement je le vis au quotidien en arrosant généreusement en pourboires le serveur, le gardien de voiture ou tout simplement quelqu’un qui me semble dans la précarité. Pour mes achats, je privilégie les petits commerces ou même les marchands des quatre-saisons qui tirent leur charrette à la force des bras.


Il arrive souvent qu’on m’arnaque de quelques dirhams, mais quand je ressens la satisfaction dans les yeux du gars qui m’a roulé, je me dis que j’en ai eu pour mon argent. Je me refuse obstinément à négocier avec ces gens pour quelques dirhams en moins. Si l’idée de gratter quelques sous devait m’effleurer, je me dégoûterais. Pire, des fois j’en arrive à souhaiter que le gars m’arnaque juste pour voir des étincelles dans ses yeux.



Le quatrième changement concerne les gens de mon âge. Je ne les corrige plus pour une erreur ou même une faute, je ne les reprends plus pour un oubli ou même un mensonge. Je reste placide même quand ils me racontent pour la énième fois leurs histoires de carrière, d’amour ou autres, des histoires toujours plus longues car enjolivées chaque fois par de nouveaux détails inédits.


J’accepte aussi de les voir quelque peu négligés : mal rasés, cheveux ébouriffés, bouton manquant, habits dépareillés, taches sur la veste ou le pantalon etc... Un laissez-aller à la fois compréhensible mais très surprenant quand on a connu, il y a des décennies ces personnes avec une santé insolente et une élégance de couverture de magazine.


C’est leur personne qui est attachante et non leur apparence, ce qui explique, pour une part la mansuétude que j’ai pour l’état dégradé des baby-boomers, ces gens de ma génération !


D’autre part je crois avoir une autre raison que j’ai toute la peine à m’avouer : et si je ne percevais pas que j’étais tout aussi mal fagoté qu’eux, serait-ce que j’aspire, en retour à leur mansuétude pour les stigmates du temps ?


Voilà un changement qui résulte moins du désir d’être meilleur, que l’expression d’un besoin de tout caresser dans le sens du poil dans l’espoir que j’en ressente en retour un bienfait pour moi-même.



Le dernier changement, et pas le moindre, c’est que je n’ai jamais été aussi heureux de vivre pleinement mes émotions que maintenant. Pendant des décennies je me faisais violence en intériorisant mes émotions. Je vivais mal de ne pas paraître tel que je suis. Je vivais dans l’hypocrisie, une hypocrisie mal assumée car j’en souffrais intérieurement.


Pourtant je savais que les hommes sont reconnaissables à leurs émotions. Effacer ou juste occulter les émotions, revient à occulter la part de l’humain dans l’individu. Je crois avoir retrouvé la totalité de mon humanité le jour j’ai pris pour la première fois ma petite fille dans mes bras, l’instant où mes émotions ont jailli comme d’une source longtemps contenue.


Ce fut un changement à nul autre pareil. Surtout par son instantanéité, alors que les autres changements prenaient beaucoup plus de temps ! Ce fut une sorte de délivrance car chaque jour de la première année de ma petite fille je lui adressais des poèmes ou des billets où je me laissais aller à des épanchements sans retenues.


Oui, je me sens comme libéré et mes émotions se lisent nettement sur mon visage, dans mes écrits, bref, dans mon quotidien.


Qu’importe les déboires que je pourrais connaître du fait de mes émotions fussent-elles excessives, je ne reviendrai jamais au personnage austère que j’étais naguère. J’éprouve une forme de tendresse pour le personnage que je suis devenu, conforme en cela avec ma nouvelle philosophie : le meilleur des hommes ne peut donner que ce qu’il a, sa part d’humanité et toutes les émotions qui l’accompagnent.



À côté de ces cinq changements, il y en a d’autres qui je n’évoquerai pas, de peur d’alourdir le texte. Les changements, évoqués ou pas, ont en commun le fait que d’une part, ils ne sont pas le produit d’une décision réfléchie ou volontaire, mais résultent d’un processus spontané, presque inconscient. Il me semble parfois que ces changements se sont opérés à mon insu. D’autre part, ils me confèrent un confort intellectuel inédit, car je me sens aujourd’hui décomplexé, comme lesté du poids d’une certaine morale et des principes qui aggravaient mon côté austère. Cela ressemble à s’ y méprendre à de la lâcheté, car maintenant je préfère avoir la paix que d’avoir raison. Il m’en coûte à mon âge de chercher à avoir raison alors qu’il suffit que je taise pour avoir la paix.


Cependant je ne me torturerai pas la conscience pour juger si ma nouvelle attitude est bonne ou mauvaise. Toujours est-il que je la vis avec une certaine sérénité, l’âme quelque peu apaisée. La paix intérieure est le gage de bonne santé, voire de survie. La médecine soulage souvent les douleurs, mais arrive rarement à soigner définitivement le mal. La paix avec soi-même soulage l’âme et me parait être un bien meilleur remède. Est-ce le prix à payer pour vivre le grand âge ?


Abdelahad Idrissi Kaitouni.







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