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Abderrahmane Yousfi ou la défaite de la vertu.



J’ai été très sincèrement ému par la disparition de Abderrahmane Yousfi. Même doublement ému ! D’abord je pense l’avoir été, moins par le politique que par ce que le personnage lui-même dégageait de respectabilité, de sincérité et plus généralement de bonhomie. Sa dimension humaine n’avait pas besoin de l’alibi du militant ou du leader pour forcer mon estime et ma sympathie. Ensuite il y avait une réelle émotion de constater ce bel unanimisme de la nation entière pour lui rendre hommage.


Tout cela me paraissait beau, bien trop beau. Et comme à chaque fois que les choses semblent parfaites, j’ai comme une alerte qui m’invite à plus de circonspection. Effectivement une fois passée l’émotion, je me suis rendu compte que l’unanimité que j’ai crue déceler, n’était qu’une unanimité de façade. Quand bien même l’écrasante majorité des hommages étaient sincères, d’autres n’étaient que des hommages de circonstance émanant de ceux qui veulent prospérer sur son héritage ou du moins sur son prestige.


La première alerte m’est venue quand j’ai vu que des personnes qui l’ont vendu à vil prix étaient présentes à son inhumation. Étaient-elles là pour s’assurer qu’il est bel et bien mort, ou pour se délecter de leur «victoire » ? À partir de ce constat j’ai tenu à relire l’histoire selon ma propre grille.


Tout le monde s’accorde à dire que Yousfi était d’une grande discrétion et se livrait rarement. Certains le trouvaient secret, presque taciturne. En réalité la discrétion était sa manière de se protéger et protéger ses amis politiques contre d’éventuelles flambées de répression. Des membres de son entourage immédiat ne l’ont pas compris ainsi. Certains proches, n’arrivant pas à percer son mutisme, lui en ont voulu au point de le trahir en se liant discrètement à des forces hostiles.


Pourtant beaucoup prétendent bien le connaître alors qu’ils ne connaissent de lui que ce qu’il a bien voulu laisser apparaître. La preuve en est que nul ne peut prétendre connaître le deal qu’il aurait (notez le conditionnel) passé avec Hassan II. Sur quoi portait ce deal ? Sur la transition de règne, la transition vers la démocratie, selon quelle modalités etc ? Mutisme total, au point qu’on se demande si ce deal a-t-il ou non existé !


Aujourd’hui qu’il a emporté son secret avec lui, il ne reste plus que la pertinence de l’analyse pour essayer de cerner la réalité. En toute probabilité le deal avec Hassan II a bien eu lieu. Il existe un faisceau d’indices concordants en faveur de cette hypothèse.


Tout d’abord Hassan II est un personnage complexe avec beaucoup de qualités, et pas mal de défauts. Et pour ce qui concerne notre analyse, on retiendra une immense qualité et un vilain défaut. La qualité c’est qu’il était un monarque visionnaire avec un sens aigu de l’histoire. Le défaut, propre à toute la dynastie, c’est qu’il avait si peu confiance dans les institutions. Sa confiance allait prioritairement à des hommes.


Qui allait être cet homme à qui il devait confier la mission périlleuse d’assurer la transition entre deux règnes ?


Le nom de Yousfi s’imposait de lui-même car il était incontestablement l’homme le plus respecté et le plus consensuel du pays. De plus, il donnait l’impression, qu’à son âge, il était loin de l’ambition personnelle dévorante des politiques. La double ambition qu’il nourrissait effectivement était d’abord pour son pays, ensuite pour ses amis politiques qu’il voulait mener au pouvoir après un purgatoire d’un demi-siècle.


Le passage du gué s’est passé sans la moindre anicroche. Le compromis historique avec Hassan II a connu un épilogue heureux. Le prestige de Yousfi était au plus haut. Mais quand le succès est là, la traîtrise n’est pas loin et rôde dans les parages. Fallait-il qu’il se retire après s’être acquitté très honorablement de sa part du contrat ? D’un point de vue purement égoïste il devait partir drapé du prestige d’avoir fait faire au Maroc un saut institutionnel inespéré.


Il y a tout lieu de croire que Yousfi, par altruisme, aurait accepté de se maintenir jusqu’aux élections suivantes pour permettre à ses partisans de se renforcer et au Parti de se régénérer. Les manœuvres de démolition n’ont pas tardé pour briser ce dessein. On lui a fait avaler toutes les couleuvres. Lui, marxiste, n’a rien pu faire pour stopper ou réduire la vague de privatisations menée par son propre gouvernement. Lui, journaliste sourcilleux sur tout ce touche la liberté d’expression, a accepté de signer des décrets interdisant des journaux. Ces coups de boutoir du Makhzen n’ont réussi qu’avec la complicité agissante de ceux qui étaient censés être ses partisans.


Yousfi s’est laissé broyer alors qu’une dizaine d’années auparavant c’était lui qui menait le jeu. En effet en 1993, il n’avait pas admis les fraudes électorales, et il reprit le chemin de l’exil à Cannes. Dès 1995 Hassan II le rappelle pour lui signifier son accord pour la révision de la Constitution (ce qui fut fait en 1996) et l’amnistie pour le retour de l’ensemble des exilés, y compris Fkih Basri.


Certes, Hassan II avait besoin de Yousfi, ce qui explique qu’il ait accédé à ses demandes. Était-ce le cas pour Mohamed VI ? Pas sûr ! Les marques d’estime et de sympathie n’ont pas manqué de la part du monarque, mais politiquement les comportements étaient discutables. En effet, l’USFP était arrivée en tête des élections, et légitimement Yousfi devait être reconduit comme Premier Ministre. Au contraire, il a été éconduit d’une manière peu amène. Même le PJD a subit un traitement plus respectueux des apparences : quand on n’a pas voulu que Benkirane rempile pour second mandat, on n’a pas pour autant privé son Parti de la tête du gouvernement.


Il y a beaucoup à dire sur les vexations, petites ou grandes, qui ont émaillé ce premier gouvernement d’alternance. Était-il naïf au point d’imaginer que sa rigueur morale et sa probité intellectuelle allaient le mettre à l’abri des coups bas ? Mais la longévité politique de Yousfi lui a permis de les encaisser avec un stoïcisme avéré. Dans cet esprit, il n’est pas exclu qu’il ait éprouvé un certain soulagement à être contraint de quitter la Primature, car cela allait le mettre à l’abri à la fois de la désinvolture du Makhzen et des trahisons des siens.


S’il y a eu soulagement rien n’indique qu’il n’y a pas eu blessures. Mais si on se réfère à son comportement depuis qu’il s’est retiré des affaires publiques, on est tenté de dire que non seulement il y a eu blessures, mais que certaines blessures étaient profondes.


La retraite politique de Yousfi a duré dix sept ans. Dix sept ans pendant lesquels il a gardé le silence. Les quelques fois où il s’est livré à des journalistes ou à des visiteurs, il a parlé en termes généraux pour que personne ne retrace tel ou tel événement. Il avait largement le temps de rédiger ses mémoires, juste en réveillant le journaliste qui sommeillait en lui. Ça n’a pas été fait ! Pourquoi tout ce silence, pourquoi tant de discrétion ?


On imagine qu’il se trouvait face à un redoutable dilemme : faire du panégyrique, être complaisant, bref verser dans le mensonge, ou bien s’ériger en procureur rappelant les forfaitures des uns et des autres. La conscience du militant et sa probité personnelle ne se seraient pas accommodées des ces excès. Il ne lui restait d’autre choix que de se murer dans le silence. Le silence apparaissant ici comme l’ultime vertu.


Platon disait que la plèbe n’aimait pas la vérité. Jusqu’à quel point les Marocains la récusent-elle ? Toujours est-il qu’ils ne défendent guère non plus la vertu. Ils ont assisté impuissants à la défaite de la vertu incarnée par Abderrahmane Yousfi. Ils n’avaient pour eux que leur émotion qu’ils n’ont pu exprimer à cause du fichu confinement. De là à dire que le sort s’est mis de la partie pour s’acharner sur la vertu.


Abdelahad Idrissi Kaitouni


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