
Tout le monde se pose la question : quelle mouche a piqué D. Trump pour annoncer le transfert de l’ambassade des USA à Jérusalem ? Quelle lecture pouvons-nous faire sur l’opportunité de la décision et le moment choisi ?
Répondre à ces questions, c’est conféré au Président américain une rationalité que tout le monde lui dénie, y compris dans son entourage immédiat. On sait très bien que c’est un «politicien atypique» qui ne s’embarrasse d’aucune éthique, d’aucune déontologie. Pour imprévisible qu’il soit, on doit cependant soumettre tous ses faits et gestes à la rigueur de l’analyse.
Pour appréhender cette décision, reportons-nous au vote du Sénat américain le 23 Octobre 1995 (Jerusalem Ambassy Act), autorisant le transfert de leur ambassade à Jérusalem. Les trois Présidents qui l’ont précédé se sont gardés de promulguer cette loi. Ils gardaient sa signature comme épée de Damoclès sur la tête des Arabes. Un seul l’avait brandie. Ce fut Obama qui s’en était servi pendant la deuxième guerre de Gaza pour dissuader les Palestiniens de ne pas traîner les responsables israéliens devant le Tribunal pénal international pour crimes de guerres et crimes contre l’humanité.
Pourquoi D. Trump vient-il utiliser cette cartouche en ce moment alors que rien ne l’y oblige ? Simple promesse de campagne ? Trop court comme argument, alors qu’il sait que le monde arabe est totalement groggy, et que ceux qui sont encore debout parmi les Arabes continuent à se saborder, sans compter ceux qui soufflent sur les braises pour attiser la guerre chiites-sunnites.
Rien, absolument rien ne justifie cette décision en ce moment. Il faut croire qu’il ne s’agit pas là d’une décision en rapport avec le conflit du Moyen Orient, mais d’une tentative pour résoudre une toute autre affaire, personnelle celle-là.
Les observateurs s’accordent à dire que l’inculpation de certains proches du Président, dont son conseiller à la sécurité, le général Michael Flynn, serait de nature à précipiter l’ouverture d’une procédure de destitution.
En signant le décret de transfert de son ambassade à Jérusalem, D. Trump cherche à s’attirer les faveurs du lobby juif et partant se mettre à l’abri de la justice. Qui d’autre que l’AIPAC et les autres composantes du lobby peuvent conférer l’impunité à un Américain ?
Cette hypothèse pour probante qu’elle est, n’est que partiellement acceptée par d’autres observateurs qui jugent inopportune la décision vu que le soutien du lobby juif lui est de tout manière acquis du fait du rôle éminemment important que joue dans son administration son gendre Jared Kushner, assisté par une équipe de sionistes notoires que sont : David Friedman, Jason Greenblatt, Steven Mnuchin, Stephen Miller, Gary Cohn, Boris Epshteyn, David Shulkin, Reed Cordish... Des personnages très influents pour qui Jérusalem devient ainsi la Capitale du Monde, là où les décisions concernant l’Occident se prennent.
Que la communauté juive s’accommode de cette décision ou même l’applaudisse, cela pourrait se comprendre. Mais que l’ensemble de l’Establishment politique n’émette pas la moindre réserve, dénote d’une dérive doctrinaire des USA qui ne laisse présager rien de bon, et pour l’Amérique et pour le monde !
Mais, qu’importent les raisons annoncées ou inavouées, qu’importent les conditions de cet acte. La question est de savoir s’il faut s’en réjouir ou s’en offusquer. Humblement je dis qu’il faut juste savoir faire avec. Peut-être qu’il en sortirait quelque chose de meilleur pour les Palestiniens.
Rappelons-nous, à la fin des années 1960 et pendant une vingtaine d’années la revendication principale des Palestiniens (et des forces de progrès qui les soutenaient) était la création d’un seul et unique état, laïc, regroupant Arabes et Juifs en parfaite égalité de droits. Un état qui serait un modèle de coexistence et de démocratie.
Cette revendication n’a cessé qu’avec les accords d’Oslo en 1993, lesquels prévoyaient la création de deux états. Force est donnée de constater que ce principe est devenu à son tour une chimère, d’autant plus que Israël n’a cessé de multiplier les entraves et de créer des situations de faits accomplis rendant impossible toute séparation entre les deux communautés.
On dit que D. Trump a tué le processus de paix. Est-ce qu’on tue quelque chose qui n’existe plus ? Ce processus, si tant est qu’il ait jamais existé, apparaît plus comme une simple rhétorique de diplomates qui cultivent l’illusion d’arrivée à une issue à la question palestinienne.
Il est temps de se départir de cette illusion, et au passage remercier Trump de ce nouveau électrochoc, un électrochoc qui pourrait s’avérer salutaire pour les Arabes et les Musulmans en général et les Palestiniens en particulier. Il s’agira pour eux de fixer de nouveaux objectifs et de nouvelles orientations pour leur combat.
Israël, par son arrogance, a cru bon de multiplier les obstacles pour rendre irréalisable la solution à deux états. Mais il oublie qu’il signe là son plus grand échec. Car ainsi s’éloigne pour de bon le rêve tant caressé d’avoir un état 100% juif, un état « pur » comme le veut Netanyahu.
Cet échec israélien ne signifie pas forcément une victoire palestinienne, mais marque le début d’un renouveau qui conduira à de nouvelles formes de luttes pour asseoir les droits de l’homme palestinien. Le combat ne visera plus un illusoire proto état, mais amènera plus de liberté et surtout l’égalité en droit avec les « concitoyens » juifs.
Quelles chances pour que ces luttes réussissent ? Très grandes ! Car les Israéliens sont minés par la colonisation. La répression, les tortures et les différentes exactions infligées aux Palestiniens accentuent leur désarroi au point de créer une véritable crise morale qui commence à affecter des couches de plus en plus larges de la population.
Au Palestiniens de reconsidérer leurs objectifs et de changer de logiciel. Ils ne doivent plus rien concéder, car toutes les concessions qu’ils ont faites par le passé ont conduit à l’impasse actuelle. Les concessions ne peuvent plus venir que d’Israël.
Un Israël qui ne peut continuer à vivre indéfiniment dans le déni sans finir par imploser. Pour la Palestine ce sera un juste retour du destin avec l’aboutissement des revendications originelles formulées dès le lendemain de la guerre de six jours en 1967 !
Comme quoi à toute chose malheur est bon !
Abdelahad Idrissi Kaitouni.
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