( * Titre emprunté à un célèbre article de Abdallah Laroui publié en 1968 dans la revue «Les Temps Modernes», dirigée alors par Jean-Paul Sartre).
Le Maroc vient de vivre en ce 10 décembre 2020 ce qui paraissent être les prémices de l’épilogue de deux situations politiques d’importance primordiale et qui perdurent depuis des décennies. Il s’agit, vous l’avez compris, de la reconnaissance par les USA de la souveraineté du Maroc sur le Sahara, et du (r)établissement des relations diplomatiques avec Israël.
On est à la fois amusé et médusé par le déferlement inhabituel des écrits sur les réseaux sociaux. Tout y est dit, et son contraire. Des personnes, généralement muettes sur la Toile, n’ont pas hésité, cette fois-ci à exprimer leurs opinions. Dans ce défoulement généralisé il y avait du sérieux, du moins sérieux, du cocasse et parfois du fantasque. Un défoulement propre à évacuer tout ce qui a pu être intériorisé et accumulé comme ressentiment tout au long de ces douloureux conflits. .
Je crois avoir lu tout ce qui était à portée de ma main. Pris par une surprenante bienveillance, je m’attardais sur les écrits exprimant des idées éloignées des miennes. La vérité, il n’y en avait pas des masses, mais je n’irai pas jusqu’à dire que les sujets sont consensuels. Loin s’en faut !
Apparemment la question du Sahara ne semble faire l’unanimité que sur le sacro-saint principe de l’irréversibilité de sa marocanité. Je laisse de côté les innombrables commentaires vengeurs qui se voulaient juste des réponses à la campagne enragée des médias algériens, devenus pour la circonstance de véritables médias de guerre. Le reste des commentaires est partagé entre les enthousiastes qui pensent que la décision américaine met un point finale à l’affaire du Sahara, et les sceptiques qui croient que ce n’est pas demain que l’affaire connaîtra son épilogue.
Moins nombreux sont les commentateurs qui se sont projetés dans l’avenir en essayant d’imaginer les futures relations inter-maghrébines une fois la région débarrassée de l’hypothèque du Sahara. Une minorité, qui a toujours vu dans le Sahara le talon d’Achille du Maroc s’est mise à rêver à un Maroc libre, sans entraves, sans cette épée de Damoclès, un Maroc capable de contracter avec qui il veut, comme il veut et quand il veut. Un Maroc qui ne soit pas obligé d’acheter le TGV faute de pouvoir acheter des Rafales car il s’était engagé sur les F16. Un Maroc qui peut s’inscrire dans la BRI (Routes de la Soie) sans se soucier des humeurs des puissances occidentales qui font tout pour l’en dissuader. Un Maroc qui doit relancer Casa Finance City pour faire de Casablanca la première place financière d’Afrique. Enfin un Maroc qui ose, guidé par la seule recherche de ses intérêts.
Un Maroc nouveau est peut-être né ce 10 décembre. Est-il permis d’en rêver ?
Cependant la concomitance des deux événements a quelque peu embarrassé bon nombre de nos concitoyens qui se sont lancés dans des diatribes parfois vexatoires. En effet chacun voyait dans l’autre un traitre à une cause sacrée. Il a suffit que je fasse remarquer que la reconnaissance par les USA de notre souveraineté sur le Sahara ne met pas un point final au conflit, pour qu’on me fasse passer pour un ennemi du pays. Pourtant j’avais préalablement dit que la déclaration américaine est un acquis décisif pour l’avenir du Maroc. Il faut applaudir à tout rompre, sans la moindre objection pour être perçu comme un bon patriote.
Dès que la question palestinienne est abordée, les débats deviennent houleux, d’autant plus houleux que les protagonistes de ces débats ont été de toujours des militants sincères de cette causes. Qu’il y ait eu marchandage, personne ne peut le nier malgré les dénégations pudiques des officiels marocains. La concomitance des annonces est là pour l’attester.
Face à une mécanique sioniste implacable, servilement manœuvrée par les USA, que le Maroc ait pu tirer un quelconque avantage, n’a rien de répréhensible, bien au contraire c’est tout à son horreur d’avoir tiré une contre-partie que chacun appréciera à juste valeur. Le Maroc a mis 43 ans pour s’affranchir du protectorat, mais cela fait 45 ans qu’il n’arrive pas desserrer les griffes algériennes. Il arrive un moment où le diable paraît plus fréquentable !
En quoi le diable serait Israël, en quoi le (r)établissement des relations diplomatiques avec ce pays va-t-il compromettre irrémédiablement l’avenir de la Palestine ? Ce n’est pas l’échange d’ambassadeurs qui risquerait d’aggraver davantage le sort des Palestiniens. La lutte héroïque de ce peuple martyr est dans l’impasse. On est au regret de constater que la machine de guerre sioniste, alliée à un Occident vindicatif qui n’a pas hésité à mettre à feu et à sang les soutiens de la Palestine, a réussi à rendre sans effets les méthodes de luttes conventionnelles. Avec le silence coupable, pour ne pas dire criminel des médias occidentaux pour rendre inaudible les actes de la résistance palestinienne, on pense qu’il est temps pour ce mouvement de repenser ses formes de combat.
Israël jouit aujourd’hui d’une impunité totale, rien ni personne ne peut l’arrêter. Tout ce qui est crime pour les autres, est parfaitement licite pour Israël. La seule et unique chose qui l’inquiète et peut conduire à sa perte, c’est la paix. Dès 1968, un jeune homme, âgé à l’époque de 35 ans, du nom de Abdallah Laroui, s’était évertué à démontrer que Israël ne prospérera que dans la guerre et qu’il faudra lui imposer la paix pour qu’il devienne un pays normal.
Les milieux sionistes s’étaient déchaînés, faisant grief à J.P Sartre d’avoir publié un article qu’ils jugeaient antisémites car les Israéliens y sont présentés comme inaptes à la paix. En face, il y avait beaucoup plus de critiques favorables notamment dans les milieux des orientalistes (qu’on désigne aujourd’hui par le terme péjoratif et vexatoire d’islamologue).
Plus d’un demi-siècle après, l’écrit de A. Laroui avait quelque chose de prémonitoire : Israël n’a fait que se renforcer et prospérer grâce aux conflits qu’il n’a cessé de provoquer. Seule la paix pourrait freiner cette sournoise et pernicieuse progression.
Le temps est peut-être venu pour installer un logiciel de paix qui mettrait fin aux prétentions insensées d’Israël. Il appartient à la résistance palestinienne de dégager ce logiciel ad hoc. Par son geste le Maroc vient lui baliser le chemin.
Objection majeure : pour faire la paix il faut être deux, or Israël sait que la paix n’est pas à son avantage. Continuer à faire la guerre pour plus de puissance, n’est pas non plus à son avantage. Car enivré par une puissance de plus en plus accrue, Israël finira par imploser. Le sionisme a réussi jusque là à anesthésier les valeurs du Judaïsme, mais elles finiront par revenir en force. Déjà maintenant, on sent un peu partout dans la société israélienne poindre les prémisses d’une crise morale qui s’accommode de plus en plus mal des agissements des responsables.
Faut-il s’attendre à ce que la restauration des liens avec la communauté marocaine en Israël conduise quelques membres de cette communauté à se détourner de l’extrême-droite alors que majoritairement ils votent pour elle ? Dans tous les cas la crise morale ira en s’accentuant et à terme se transformera en crise existentielle.
Le coût de la paix est élevé pour Israël, mais il sera toujours moins élevé que la violence, cette nouvelle religion du sionisme !
Quant à nos amis palestiniens, ils n’ont pas le droit de douter de la sincérité du Maroc et qu’ils doivent chercher à tirer le meilleur parti de sa nouvelle posture où il n’y a pas que du mauvais pour leur cause.
Abdelahad Idrissi Kaitouni.
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