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France : du racisme à l’assignation identitaire.



Je suis surpris de l’étonnement qu’a suscité l’article que j’ai consacré au livre «Pensée blanche» de Lilian Thuram. J’ose espérer que cet étonnement est sans lien avec le parcours de l’auteur devenu un essayiste de talent, alors qu’il provient de l’univers réputé inculte du football.


Cela fait déjà quelques années que je m’intéresse aux questions du racisme et surtout sa résurgence dans l’espace médiatique français. C’est avec un engouement évident que je me suis laissé embarquer par l’essai de Thuram, quand bien même ses réflexions vont essentiellement aux manifestations apparentes du racisme dans son expression biologique du terme, mais s’attarde peu sur le déni de toutes les autres formes de racisme, déni que la bien-pensante veut imposer à l’opinion.


La réponse à ce déni nous vient aujourd’hui de Sarah Mazouz sociologue chargée de recherches au CNRS qui vient de publier un livre au titre sec : « Race ». J’avoue ne pas avoir encore eu ce livre entre les mains. Mais pour avoir lu, en ligne, plusieurs extraits, et après avoir pris connaissance des commentaires parus ici et là, je m’en suis fait une assez bonne idée pour me risquer et oser cette chronique.


À côté du racisme biologique qui secoue périodiquement les grandes démocraties comme les assassinats de George Floyd aux États Unis et Adama Traoré en France, il existent des racismes tous aussi violents, comme le racisme religieux ou plus généralement le racisme social. Ces violences, si elles ne sont pas spectaculaires, du fait qu’il n’y a pas morts d’hommes, ne sont pas moins réelles. Elles brisent autrement des vies. Parce que non spectaculaires et terriblement insidieuses, ces violences sont purement et simplement occulter dans le débat politique en France.


Le livre de S. Mazouz est représentatif des tendances de la majorité des chercheurs en sciences sociales, qui sont devenus aujourd’hui la cible privilégiée de l’establishment français au point que E. Macron est monté au créneau pour les accuser d’encourager l’éthnisation de la question sociale. Accusations grotesques contre un monde académique qui ne fait qu’analyser des faits sociaux alors qu’il s’agit de faits dont il est un des principaux instigateurs. N’est-il pas l’instigateur de l’affligeante notion de «séparatisme» musulman qu’il veut endosser pour sa campagne électorale en 2022 ?

Tant qu’il s’agit de la démarche d’un individu aveuglé par son ambition personnelle, cela peut se comprendre, mais quand tout l’establishment français se retrouve dans le déni de la chose raciale, c’est qu’il y a péril dans la bien-aimée demeure France. Les médias n’hésitent pas à clamer, dans un unanimisme maladif, que les antiracistes sont des racistes qui s’ignorent. Ils nous la font donc à l’envers !


Ils ont peur que le débat sur le racisme biologique ne débouche sur la question de la hiérarchisation sociale où se nichent des discriminations parfois très profondes. Or, on le sait, la discrimination est le premier pas dans le racisme, car on se trouve assigné à une catégorie qui porte ses propres stigmates. Certaines catégories sont considérées inférieures à d’autres. Ainsi en est-il par exemple, du racisme anti-pauvre qui a de tout temps existé.


Mais la catégorisation sociale a fait apparaître d’autres racismes que les médias tentent d’occulter. Sauf la catégorie assignée au «musulman» qui elle, ne bénéficie d’aucune mansuétude ! Contrairement au racisme biologique qui est puni par la loi (et qui perdure malgré tout), le racisme anti-Musulmans est lui, souhaité au plus haut niveau de l’état et encouragé par les médias. Quant aux autres racismes, on tente par tous les moyens à les invisibiliser.


Rendre invisibles les racismes en les évacuant des débats publics, n’efface nullement l’infériorisation raciale qui conduit manifestement à l’assignation identitaire, nouveau marqueur de la différence. Le ressenti sera d’autant plus violent que l’identité est perçue comme inférieure. Comme le résume l’historien Pap Ndiaye : « […] Si l’on veut déracialiser la société – et donc faire de telle sorte que la couleur de la peau n’ait pas plus d’importance que celle des yeux ou des cheveux -, il faut bien commencer par en parler ». Parler de tous les racismes, cela va de soi !


Ceux qui se refusent à en parler sont dans une certaine cohérence intellectuelle dans la mesure où se référer à la race implique une construction sociale débouchant sur l’assignation à des identités classées, entre autres, par leur rapport au pouvoir. La variable raciale est essentielle pour expliquer les mécanismes de domination sociale.


La construction sociale propre aux populations blanches largement majoritaire en Occident, n’est jamais réduite à une quelque forme d’ethnicité, laquelle ethnicité est vécue d’une manière totalement inconsciente par les Blancs. En fait le Blanc est totalement invisible du et par le Blanc, car il lui est impensable d’imaginer qu’il puisse être racialisé. C’est le « privilège blanc » selon l’expression consacrée par les sociologues américains. On rejoint ici l’anecdote rapportée par L. Thuram dans son livre «Pensée blanche» : un jour il posa la question à un de ses amis blancs : «si moi je suis Noir, toi comment es-tu ? ». En guise de réponse, l’autre gêné, a bafouillé : «Je ne comprends pas, mais moi je suis normal ! ».


Cette normalité fait apparaître toute différence comme anormale, et par conséquent infériorisée. Elle alimente une supposée supériorité naturelle de l’Occident en toutes choses, à commencer par les choses de l’esprit. Ainsi en est-il des valeurs qui sont réputées «universelles» du seul fait qu’elles émanent de l’Occident. Inversement les idées émanant des populations visibles ne peuvent être que des idées particulières et spécifiques à ces populations, sans aucune prétention à l’universalité.


Dans leur magnanimité, les personnes qui vivent le confort d’être blancs, peuvent se montrer tolérants avec ceux qui renoncent à leurs particularismes sans toutefois oublier ce qu’ils sont. Habillez-vous de nos valeurs et vous recevrez un peu de lumière, mais n’oubliez surtout pas que vous êtes les enfants de l’obscurité. Ce message est servi en boucle aux Musulmans.


Par un vote massif du Congrès (Chambre des Représentants + le Sénat), l’article 1er de la Constitution française a été modifié en 2018 par la suppression du mot «race». Cela relève d’une idée généreuse qui n’admet pas l’existence de plusieurs races chez les humains. D’où l’idée de bannir ce mot du vocabulaire public. On évite ainsi la racialisation des débats, mais on n’empêchera jamais notre tendance grégaire à la racisation des rapports entre individus. (Différence notable entre les deux vocables. Racisation est utilisée pour parler de la propension du groupe dominante à assigner l’autre dans une catégorie inférieure).


Si le législateur français a voulu adoucir les formes les plus voyantes du racisme, il ne peut malheureusement rien contre la persistance des inégalités, d’où l’impossibilité de dépasser la question raciale. Dépasser cette notion ne confère aucune immunité contre le racisme. Pire, la rendre taboue, c’est offrir aux médias l’occasion de mettre en exergue les jugements négatifs sur les cultures qui peinent à se fondre dans un moule unique, celui de la culture dominante.


La négation de la question raciale est prise en défaut à cause des dérapages fréquents et incontrôlés des officiel et des médias français. Du coup les grandes principes de la République affichés fièrement sur tous les frontons des édifices publics sont soumis à dure épreuve.


De la liberté, que reste-il quand on stigmatise les différences des minorités visibles ? Quelle liberté leur laisse-t-on quand le dogme d’un assimilationnisme forcené cherche à abolir ces différences ? Où trouver l’égalité quand la racisation génère des assignations identitaires ramenant chaque individu à des groupes perçus comme inférieurs ? Dans ce contexte la fraternité apparaît comme un vœux pieux dépouillé même de sa portée cosmétique.


Abdelahad Idrissi Kaitouni.



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