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Comment une Grande Puissance se réduit à … l’impuissance ?

Dernière mise à jour : 3 sept. 2022




La visite de Macron ressemble, à s’y méprendre, à un cinglant fiasco. Les observateurs les plus avisés n’en attendaient rien de probant, encore moins du spectaculaire. Bref, la montagne aura accouché d’une souris. Mais puisque l’issue du voyage était attendue, quelle raison a-t-elle incité le chef de l’Etat français à effectuer le déplacement ?


A-t-il juste cédé à la pression de la junte militaire algérienne qui pensait que cette visite allait lui permettre de rompre son pesant isolement, surtout à un moment où ses soutiens traditionnels lui tournent le dos : la Russie embarquée dans sa guerre en Ukraine, et la Chine pour qui le marché algérien a perdu toute attractivité ? Cela s’apparenterait alors à une bouée de sauvetage lancée par Macron pour sauver un régime grabataire, qui reste cependant très utile pour la France.


Inversement, pourquoi l’Algérie tenait-elle à cette visite ? En dehors du fait que les militaires allaient vendre à leur opinion l’idée que l’Algérie n’est pas si isolée, ils savaient pertinemment qu’ils n’obtiendraient pas satisfaction sur les thématiques qui leur tiennent particulièrement à cœur. Sur la question mémorielle, Macron a été inflexible et s’est refusé à toute forme de repentance. Quant à la question du Sahara, il a réaffirmé la position traditionnelle de son pays, une position nettement favorable au Maroc même si elle ne s’accompagne pas d’une reconnaissance formelle de la marocanité du Sahara.


Au menu il y avait aussi la question du gaz. Elle a été traitée avec désinvolture par la partie française qui voulait ainsi décourager les algériens contre toute velléité de chercher à se repositionner par le biais du gaz sur le marché européen. Reste la question du Sahel sur laquelle les Français sont restés très dubitatifs, alors que la junte militaire aspirait à se voir confier un rôle quelconque, ne serait-ce que pour continuer à exister sur un théâtre d’opérations.


C’est zéro sur toute la ligne. On a envie d’ajouter, tout ça pour ça ! Pourtant les dirigeants algériens devaient bien se douter qu’il n’y avait rien à attendre de la visite de Macron. Pourquoi ce pétard mouillé ?


La longue attente de la venue de leur séide trahit l’extrême fébrilité qui règne dans les sphères dirigeantes algériennes. Une visite somme toute d’interêt relatif, mais devenant à leurs yeux d’importance capitale car elle nourrit chez eux l’illusion que leur régime moribond continue encore à exister. Comme pour donner corps à ces illusions, ils se sont inventés un ennemi qui est l’incarnation de tout ce qu’ils ne sont pas et qu’ils ne seront jamais. Cette terrible frustration les a fait basculer dans des incantations homériques, des flots d’accusations imprécatoires et nauséeuses, et des insultes propres à faire vomir.


Autant les réactions algériennes sont connues, car parfaitement prévisibles, autant on a peine à suivre, encore moins à excuser, les soubresauts de la politique française. Au-delà du macronisme qui est une des dernières manifestations des gigotements désordonnés et aveugles d’une France qui se bat désespérément pour garder son rang de grande puissance, il y a ce coupable abandon des valeurs dont elle a été l’étendard pendant des siècles.


Oui, la France veut retrouver son aura d’antan, un aura qu’elle n’a pu préserver faute de n’avoir pas réussi à se départir de son complexe de supériorité, ce qui entretient la fibre coloniale au plus profond de chaque Français. Les déboires qu’elle collectionne un peu partout, et plus particulièrement en Europe et en Afrique, résulte de cette mentalité qui trahit une rigidité intellectuelle sur une prétendue mission civilisatrice.


On a peine pour la France de la voir courir d’échecs en échecs un peu partout dans le monde. En Europe, cela tourne à l’obsession.


En quittant le commandement de l’OTAN, le général De Gaulle avait clairement signifié que l’Europe ne devait pas se transformer en bras économique d’une alliance qu’il n’aimait point. Alors il s’était consacrer à doter son pays de l’arme nucléaire, avec le secret espoir que d’autres pays européens viendraient s’y associer. Mais les forces hostiles à la France s’étaient liguées pour faire entrer la Grande Bretagne dans le circuit dans le but de faire avorter le projet de défense commune. Il s’était opposé à l’irruption des Anglais dans l’ensemble européen, mais il a dû s’incliner et se retirer en 1969 après son échec au référendum qu’il avait organisé à cet effet.


Depuis plus de cinquante ans, tous les Présidents français avaient essayé de vendre à leurs partenaires le projet d’une défense européenne commune, mais en vain. Bien entendu, sans l’adhésion franche des autres États européens à cette idée, la France se devait de renoncer à toute prétention de prendre la tête de l’Europe, le leadership économique étant déjà assuré par l’Allemagne.


La guerre en Ukraine compromet sévèrement ce projet. A l’évidence un arsenal nucléaire aussi puissant soit-il, ne confère pas forcément une capacité illimitée d’intervention dans les théâtres d’opérations


Si la perte de l’influence française en Europe est actée, en Afrique la perte d’influence devient criante. Quelle pire affront pouvez-elle subir que celui que vient lui infliger le Mali ? Face à un pays des plus modestes, la France peut tout, mais en fait elle peut peu ! On ne doit guère se réjouir de voir une si grande nation bafouée de la sorte. Pas plus qu’il ne faut se réjouir que de grandes puissances soient réduites subitement à … l’impuissance ! Il y va des nations comme des enfants, une certaine forme d’autorité n’est pas forcément mauvaise.


La France est quelque part responsable de ses déboires. Certains esprits chagrins vont jusqu’à dire qu’elle l’a bien cherché. Ils oublient que le monde a encore besoin de la France, une France rénovée, porteuse de nouvelles valeurs qui soient en adéquation avec le XXI ème siècle.


À son tour la France a besoin d’être accompagnée pour se reconstruire, pour se refaire une santé morale, retrouver son aura d’antan, mais sur les nouvelles bases. Au préalable Il faut qu’elle se départisse des scories de son passé colonial. On peut concéder que la colonisation avait aussi des aspects positif. Mais entre l’historiographie française qui tirait gloire de ces aspects positifs au point d’occulter les exactions qui les ont accompagnées, et la crise mémorielle surfaite, il y a place à une approche moins conflictuelle. Telle est me semble-t-il la démarche du Maroc qui ne demande ni réparations, ni repentance, mais juste la restauration des vérités que la colonisation avait escamotées.


De tous les pays qui ont gardé une certaine estime à la France, seul le Maroc est en mesure d’assurer cet accompagnement. Il a une identité suffisamment affirmée pour ne pas craindre des mélanges des genres lui permettant ainsi de jouer les honnêtes courtiers, en Afrique, dans le monde arabe, et d’une manière générale là où la France est en perte d’influence. Oui, le Maroc peut aider efficacement au rétablissement de la France dans son prestige, car il s’affirme de plus en plus comme un pays mâture et crédible malgré les tentatives désespérées des Algériens pour abîmer son image.


Discrètement le Maroc, sans la moindre ombre de reproche, encore moins de vengeance, a maintes fois signifié sa disponibilité pour assurer ce rôle d’accompagnement. Malheureusement, les Français à ce jour continuent à percevoir le Maroc comme l’ancien pays sous protectorat, et du coup ils ne conçoivent pas que le salut peut, en partie, venir de lui. À croire que plus le Maroc cherche à prêter main forte, plus la France se dérobe, prend ombrage et force son hostilité.


Ce violent ressentiment commence à être perçu par l’opinion marocaine qui s’en offusque. Outre l’incompréhension mêlée souvent de stupeur, l’élite marocaine ne voit plus comment éviter le fossé que la France s’évertue à creuser entre nos deux pays. Il sera impossible pour nos dirigeants de prôner la moindre mansuétude pour un pseudo-partenaire qui nous distille sournoisement une réelle hostilité. Les récents événements fourmillent de détails qui trahissent une sourde escalade. Peut-on donner crédit à l’idée que tous nos déboires avec l’Algérie ont été conçues et préconisées par l’Elysée ? Difficile à admettre, mais ils sont de plus en plus nombreux ceux qui, par dépit, trouvent l’idée plausible.


Beaucoup d’observateurs marocains appréhendaient le voyage de Macron à Alger, même s’ils savaient qu’il n’y est allé que pour redorer le blason du quarteron de généraux qui relaient son pouvoir sur l’Algérie. Il n’avait rien à leur apporter et il n’avait rien à en attendre. Les mêmes observateurs s’attendent à sa visite au Maroc. En a-t-il vraiment envie ou s’agit-il d’un jeu d’équilibriste pour faire croire que Paris maintient une équidistance entre Alger et Rabat ?


La manière peu protocolaire avec laquelle il a annoncé sa prochaine visite à Rabat laisse des doutes sur son envie de faire ce déplacement. Quoiqu’il en soit, si cette visite doit avoir lieu, elle risquerait d’être la visite de la dernière chance pour réparer les relations entre les deux pays. Une seule condition : que la France s’affranchisse de l’image dégradée qu’elle s’est forgée sur le Maroc.


A titre d’exemple en acceptant de s’inscrire dans un partenariat sincère et équilibré avec le Maroc, Macron ouvrira à son pays la voie de la reconquête de l’Afrique. Cette reconquête va permettre à la France de retrouver ses positions antérieures, et même de reprendre ce qui a été engrangé par d’autres puissances. Si elle est accompagnée du Maroc, les Africains cesseront de voir dans la France le colonisateur, mais une puissance qui n’hésite pas à nouer de solide partenariat comme cela serait le cas du Maroc.


Ceci n’ira pas sans grincements de dents en France, et de sérieuses oppositions de certains pays. Mais c’est le prix à payer pour enrayer la lente et inexorable érosion de la puissance française. Une attitude hostile de la France pourrait ralentir la progression du Maroc, mais ne l’arrêtera pas, et lui offrira l’occasion de renforcer les liens avec d’autres puissances et d’en tisser de nouveaux.


Abdelahad Idrissi Kaitouni.

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